I

 

 

Du balcon de son palais de Memphis, Mérenptah, treizième fils du grand Ramsès II, regardait le vaste pays dont il venait d’hériter. À la lumière du soleil qui mourait lentement au-dessus des pyramides, il admirait l’immensité de ses terres. Tout cela était maintenant à lui. Il possédait tout, de la grande mer du Nord jusqu’aux limites du pays de D’mt. Il avait maintenant, seul, la charge de la sécurité et du bien-être de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Et cette lourde tâche, il n’avait pas été préparé à l’assumer. De nature plutôt volage et désinvolte, il aurait plutôt souhaité se consacrer entièrement à l’écriture de poèmes et aux intrigues amoureuses qu’il entretenait avec plusieurs femmes dans différentes villes du pays. Mais son père venait de lui léguer le trône et, selon la tradition, Mérenptah ne pouvait pas le refuser. Ses douze frères et sœurs aînés étant décédés, c’était à lui de prendre les commandes de l’Égypte et de poursuivre le travail de la dynastie. Lui qui, jamais, n’avait pensé occuper un jour une telle fonction vivait depuis sa nomination un véritable cauchemar éveillé.

Devant l’ampleur de ses nouvelles responsabilités, le pharaon fut irrésistiblement pris d’une crampe à l’estomac et vomit tout son dîner. Le corps penché en avant, il tenta péniblement de se relever, mais la nausée persistante le fit encore une fois régurgiter.

— C’est tous les soirs la même chose, murmura-t-il en essayant de se redresser. Horus, aide-moi à accepter les fonctions pour lesquelles j’ai été désigné. Je serai incapable de gouverner ce pays sans ton aide… Je t’implore de me donner la force qu’il faut pour suivre les traces de mon père.

Tout en implorant Horus, Mérenptah songea que Ramsès II avait été l’un des plus grands rois que l’Égypte ait connu. Tout au long de son règne, il avait fait de son pays un État dominant qui s’étendait de la lointaine Nubie jusqu’aux frontières hittites, et partout il était respecté et craint. Connu dans les autres royaumes comme un souverain guerrier, il avait mené lui-même de grandes batailles pour protéger l’intégrité de ses frontières. Celui qui n’hésitait jamais à tremper son glaive dans le sang de ses ennemis était reconnu comme un fin stratège et, même dans les pires conditions, il avait toujours triomphé. Combien de fois avait-il humilié les Hittites ou les Nubiens dans le but de les briser, mais surtout de leur démontrer la force et le courage de l’Égypte ? Beaucoup trop souvent pour rendre à l’aise un successeur potentiel. C’était un legs beaucoup trop lourd pour Mérenptah.

— À la bataille de Qadesh, alors qu’il était entouré de centaines de Hittites, prononça le pharaon comme s’il récitait une prière, Ramsès II invoqua la puissance d’Amon et celui-ci lui accorda la force de mille hommes. Armé de son bâton, le roi d’Égypte se lança à corps perdu dans la bataille et réussit à lui seul l’exploit de repousser les troupes ennemies. Au lendemain de ce jour glorieux, Muwattali, le souverain hittite, envoya un messager avec une proposition d’armistice. Implorant la clémence de Ramsès II, il lui offrit même sa fille, la toute jeune princesse de Bakhtan, afin qu’elle lui servît d’esclave. Magnanime, le grand souverain refusa de soumettre la jeune fille et accorda son pardon au peuple hittite. Voilà ce que les scribes enseignent aux enfants… Voilà ce qu’ils m’ont enseigné…

Mérenptah régurgita de nouveau. La pression était trop forte pour un homme aussi peu ambitieux que lui.

« Il suffit de voir les temples de Louxor et de Karnak, construits sous le règne de mon père, pour comprendre que je ne serai jamais à sa hauteur », se dit Mérenptah, complètement abattu.

Il avait bien raison, car toute l’Égypte témoignait du passage de Ramsès II sur terre. Sous son règne, une nouvelle capitale, celle de Pi-Ramsès, avait même vu le jour dans le delta du Nil. Dans toutes les villes, statues, obélisques et palais avaient poussé comme des champignons. Le souverain de la grande dynastie avait inspiré les artistes au dépassement, si bien que les arts, dans tout le pays, avaient atteint un raffinement jamais égalé. En plus de ses talents de guerrier et d’orateur, Ramsès II avait été, tout au long de sa vie, un habile négociateur capable d’unir les clergés de Memphis et de Héliopolis tout en évitant le courroux des prêtres de Thèbes. Un miracle en soi !

— J’aurai tout le pays sur le dos… constamment ! Et les prêtres me feront sentir avec raison que je n’ai pas ma place sur le trône. Cette bande de chiens galeux en viendra à me mettre le peuple à dos et on me renversera… Horus, écoute mon appel et viens à mon aide !

Lorsqu’il était prince, Mérenptah était le plus heureux des hommes. Il supervisait sur le terrain les différents travaux architecturaux commandés par son père et se prélassait au soleil en remerciant la vie. D’une nature peu agressive, il lui arrivait régulièrement de gracier des esclaves trop vieux ou trop malades et même, parfois, de réduire le nombre de coups de fouet donnés aux serviteurs récalcitrants qui tentaient de s’évader. Mais depuis qu’on avait porté le corps de son père dans la Vallée des Rois, tout avait soudainement changé. C’était désormais vers lui que se tournaient tous les regards et tout l’espoir d’une Égypte en pleine expansion.

Devant l’ampleur de la tâche, Mérenptah eut brusquement envie de s’ouvrir les veines. Il dégaina la dague qu’il portait à la ceinture et appliqua la lame sur son poignet. Il n’avait plus maintenant qu’un simple geste à faire pour sortir de son calvaire. Prêt à mourir, il ferma les yeux et appuya légèrement sur l’arme.

— Je ne suis même pas capable de m’enlever la vie, fit-il, se ravisant. Trop lâche pour gouverner et trop peureux pour mourir, voici le nouveau souverain de l’Égypte.

Mérenptah claqua des doigts et deux servantes s’avancèrent aussitôt vers lui. Les femmes déposèrent délicatement des serviettes de lin humides sur les genoux du roi afin qu’il se lave le visage, puis elles nettoyèrent rapidement les vomissures de leur maître. Une fois le travail terminé, les servantes se retirèrent sans le moindre bruit.

Le nouveau souverain profita de ce moment pour essayer de recouvrer ses esprits.

« Je serai capable de diriger ce pays si tu me viens en aide, Horus…, se dit-il, les yeux tournés vers le ciel. Je ne suis pas fait pour cette tâche… et je ne m’y suis pas préparé non plus, mais je devrai quand même l’accomplir. Le peuple croit peut-être que je suis un dieu, mais c’est faux… Il n’y a pas plus homme que moi… »

Pendant que Mérenptah priait en silence, un jeune serviteur âgé d’une quinzaine d’années déposa derrière lui un bloc de pierre sculpté représentant un fantassin. Il attendit, tête baissée, que le souverain daigne se retourner vers lui. Un autre garçon arriva à sa suite et déposa à son tour une statuette noire à l’effigie du dieu Thot.

Le pharaon, contrarié, cessa son invocation à Horus et se retourna en soupirant vers les deux messagers. Les garçons tremblaient de peur.

Mérenptah avait deux demandes d’audience, l’une de son conseiller militaire, l’autre du prêtre de Thèbes. Épuisé par ses émotions et abattu par les moments difficiles qu’il venait de vivre, il fit signe aux deux messagers de quitter les lieux. Comme ils allaient repartir avec leurs statuettes, il rappela le jeune homme qui portait celle du conseiller militaire. Par ce geste, le pharaon indiquait qu’il acceptait de le rencontrer.

Le garçon repartit au pas de course pour avertir son maître.

Quelques minutes plus tard, un grand gaillard à la barbe poivre et sel et aux muscles saillants se présenta devant Mérenptah. Il était vêtu d’une jupe longue, et son torse était couvert de cicatrices.

— Pharaon, merci de me recevoir…, dit-il respectueusement.

— Je t’écoute, répondit Mérenptah en lui rendant la statuette. Quelles nouvelles m’apportes-tu ?

— De bien mauvaises, je crois…

— Vas-y, je suis prêt à les entendre.

— Depuis que Ramsès II, votre père, est entré dans la grande chambre des morts pour son voyage vers les territoires des ombres, les Nubiens, nos supposés alliés, pensent à l’indépendance. Certains de leurs commandants lorgnent même du côté de l’Égypte pour étendre leur territoire. Nos espions m’ont révélé que le peuple du sud ne vous craint pas assez pour demeurer docile dans ses terres. Beaucoup parmi ces gens savent que vous n’êtes pas un guerrier, et ils ont envie de mettre votre patience à l’épreuve.

— Les Nubiens…, soupira Mérenptah. Nous aurions dû les réduire tous à l’esclavage lorsque nous en avions la possibilité Dès qu’ils en ont l’occasion, ces panthères se retournent contre l’Égypte et commencent à nous griffer dans le dos. Me faudra-t-il envoyer nos armées pour les mater ? Sache bien que si je le fais, ils mordront la poussière, et pour longtemps ! Je les écraserai comme des insectes ! Tu as raison, ce sont de bien mauvaises nouvelles. Est-ce là tout ce que tu m’apportes ?

— Non, j’en ai bien peur, Pharaon… Je tiens de source sûre que les Achéens regardent aussi vers nos terres et nous préparent un mauvais coup. Ceux-ci aimeraient bien mettre la main sur notre port et ainsi contrôler tout le commerce sur les terres du Nil.

— Les Achéens au nord et les Nubiens au sud ! Voilà qui nous place dans une fâcheuse position…

— Mais ce n’est pas tout, Pharaon.

— Pff ! Décidément, c’est mon jour !

— Je prévois que les Libyens leur emboîteront le pas pour conquérir nos territoires à l’est. De plus, il y a menace de rébellion sur nos terres cananéennes, un vent de liberté souffle dans les esprits de certains chefs de guerre. On les dit fatigués de la domination de l’Égypte.

— Et les Hittites ?

— Ce sont les seuls à ne pas avoir manifesté d’hostilité à votre arrivée au pouvoir. Ceux-là reconnaissent votre puissance et votre grandeur. Seulement, il ne faut pas se fier aux Hittites, car dès qu’ils en auront la chance, ils essaieront de forcer nos frontières. Cette race est composée de menteurs et de traîtres, uniquement ! Lorsque leur souverain Hattousili III sourit, c’est qu’il mijote quelque chose. Et on le dit très souriant par les temps qui courent !

— Tu m’en vois surpris ! s’exclama Mérenptah avec ironie. Quelle hyène, celui-là ! Ces parjures de Hittites ne révéleront leurs véritables intentions que lorsque l’Égypte sera à feu et à sang. Et comme d’habitude, ils joindront les rangs des plus forts…

— Votre sagesse est grande… votre clairvoyance aussi… mais je crois néanmoins que ce sont eux qui nous attaqueront les premiers. Je sais comment pensent ces chiens, et c’est sans doute par le royaume de Bakhtan qu’ils tenteront de nous envahir.

— Les empires ne se font pas de cadeaux entre eux, c’est bien connu ! Enfin, c’est ce que répétait souvent mon père… Est-ce là tout, ou me réserves-tu encore une bonne surprise ? Tout va bien au pays de D’mt ?

Le militaire sourit de la blague du pharaon. Le pays de D’mt était une région quasi impénétrable où des hommes sauvages vivaient sans aucune organisation politique ou sociale. Il n’y avait absolument rien à craindre de ce côté.

— C’est tout pour les mauvaises nouvelles…, fit le colosse. Et rassurez-vous, le pays de D’mt ne présente pas de menace. Enfin, pas encore !

— Tant mieux, cela nous fera un endroit où nous réfugier si les choses tournent mal en Égypte ! dit ironiquement le nouveau pharaon.

— Je peux ? demanda l’homme en lorgnant vers la sortie.

— Oui… va ! Merci pour ta franchise… Reviens-moi demain avec une proposition d’offensive pour mater rapidement les Nubiens. Si nous les rallions rapidement à notre cause, nous pourrons les utiliser contre les Achéens et les Libyens. Ce sont de solides guerriers dont l’Égypte ne peut se passer. Mais avant de te retirer… parle-moi du peuple. Comment me considère-t-il ?

L’homme demeura silencieux quelques secondes. Trop craintif pour dire la vérité à son nouveau pharaon, il se contenta de le saluer respectueusement et quitta la pièce en silence. Après tout, il avait eu son congé, et la bienséance, même envers Mérenptah, ne le forçait pas à répondre. Mérenptah comprit que son conseiller militaire ne voulait pas commenter la situation et il l’en excusa tout de suite. Après tout, le souverain connaissait déjà trop bien la réponse à cette question.

— Me voilà fixé…, grogna-t-il pour lui-même. Je sais que le peuple qui a tant aimé mon père me regarde aujourd’hui avec déception. Les hommes et les femmes de ce pays voulaient un roi digne de Ramsès II et ils se retrouvent avec Mérenptah le poète ! À leur place, je serais tout aussi déçu…

La nuit était tombée sur le balcon du palais, et le froid du désert commençait à se répandre sur Memphis. Seul, assis sur son siège, Mérenptah regarda les feux de la ville s’allumer un à un et l’animation nocturne s’installer sur les différentes places. La musique des tavernes et des spectacles monta jusqu’à lui dans un bourdonnement étouffé. Il y avait tant d’hommes, de femmes et d’enfants dans cette ville, tant de vie, tant d’odeurs et tant de fêtes qu’elle en devenait étourdissante. Artistes nomades, charmeurs de serpents et arracheurs de dents côtoyaient les dompteurs de singes et les vendeurs d’esclaves. De splendides femmes dansaient à la musique endiablée de percussionnistes déchaînés. Et tout cela était enveloppé de l’arôme de moutons grillés et de poulets cuisant à la broche.

« Il y a tant à faire dans cette ville pour se divertir, pensa Mérenptah, qu’il serait bien dommage de rester confiné dans ce palais. Si je m’évadais ce soir, je pourrais en profiter pour prendre directement le pouls de l’opinion publique à mon sujet. Rien de mieux qu’un bain de foule pour entrer en contact avec le peuple. C’est une idée fantastique… Ça me fera du bien ! »

Le pharaon claqua des doigts et ses deux servantes apparurent aussitôt. Il demanda à la première de lui trouver des vêtements de berger et un long bâton de marche, le tout très usé de préférence. Il ordonna ensuite à la seconde de lui retirer ses bijoux royaux et de lui couper les cheveux très courts, comme ceux d’un simple Égyptien. La femme hésita, mais, incapable de désobéir à son maître, se mit à l’ouvrage en versant des larmes de crocodile. Les cheveux du pharaon étaient si beaux, si longs et si bien entretenus qu’elle avait l’impression de commettre un crime contre son pays. Une fois la tâche terminée, Mérenptah enfila ses nouveaux vêtements et ne garda sur lui que la bague de son père qui l’identifiait comme souverain d’Égypte.

— Si on demande à me voir, dit-il à ses servantes, vous répondrez que je porte encore le deuil de mon père. Ainsi, je refuse toute visite jusqu’à ce que mes larmes soient sèches.

— Mais… mais où allez-vous ? osa demander l’une d’elles, déjà morte d’inquiétude.

— Je vais à Memphis incognito et je ne sais pas quand je reviendrai. Je me pose des questions et je ne serai pas de retour avant d’avoir trouvé des réponses. Si mon absence devait se prolonger durant quelques jours, vous ferez monter de la nourriture à ma chambre. Chaque fois, vous viderez entièrement le bol avant de le rendre ! Je ne veux pas qu’il reste une miette de nourriture, sans quoi mes docteurs s’inquiéteront. Ceux-là me surveillent constamment et s’ils posent des questions à mon sujet, dites-leur que je prie avec ferveur, mais surtout que je vais très bien. Je ne sais pas combien de temps je m’absenterai… Seriez-vous capable de tenir votre langue quelques jours si c’était nécessaire ?

Les deux femmes firent un signe de tête affirmatif.

— Je sais que vous serez très inquiètes pour moi, mais je vous assure que c’est pour le bien du royaume.

— Votre père aussi, ô grand Mérenptah, avait ses secrets et nous les avons toujours gardés, fit l’une des servantes. Nous emporterons ces mystères avec nous dans le royaume des morts.

Mérenptah gratifia chacune d’un baiser sur le front, ce qui les fit rougir comme des pommes bien mûres.

Le pharaon quitta ses appartements et emprunta un passage réservé à la royauté donnant directement dans les jardins. Voilé par la nuit, il s’assura de l’absence de gardes et se glissa ensuite discrètement hors des murs du palais. Toutes les résidences royales que Ramsès II avait habitées étaient truffées de passages secrets, et Mérenptah les connaissait bien. Son père les utilisait souvent pour faire monter à ses appartements des vendeurs d’opium venant des lointaines terres babyloniennes. Cette substance l’aidait à se détendre et à dormir lorsqu’il était trop tendu. Sous son emprise, il lui arrivait même de recevoir la visite de dieux anciens avec lesquels il discutait de longues heures durant. C’était là l’un des nombreux secrets de Ramsès II que ses servantes emporteraient avec elles dans la tombe. Un secret que ses proches connaissaient aussi.

Mérenptah marchait maintenant dans Memphis. En quelques minutes, il était passé de souverain d’Égypte à berger sans le sou. Mais tout n’était qu’apparence, car le pharaon, contrairement à un éleveur de bétail, avait dans ses bottes un petit sac de pierres précieuses et un assortiment de fines tablettes d’or afin d’assurer sa subsistance.

Ce fut ainsi qu’après quelques pas dans la pénombre d’une rue ensablée, il déboucha sur l’une des nombreuses places de la ville. Là, dans la lumière vacillante d’un grand feu de joie, une troupe de danseurs amusait des centaines de spectateurs qui frappaient joyeusement dans leurs mains. À travers la musique assourdissante des musiciens survoltés et les cris excités des chanteurs nubiens, Mérenptah se sentit observé. Il regarda furtivement autour de lui, mais personne ne semblait l’avoir reconnu.

— Du calme, se dit-il, ces gens ne peuvent pas savoir qui je suis… Aucun d’entre eux ne s’attend à croiser le pharaon. Je dois agir comme un citoyen normal, sinon j’attirerai l’attention sur moi. Néanmoins, je vais quitter cette place et chercher un endroit moins achalandé.

Mérenptah s’écarta de la foule et trouva une table libre dans une taverne à ciel ouvert. Habitué à plus de confort, le pharaon s’assit sur un coussin et attendit qu’un gros bonhomme à la bedaine atrocement gonflée vienne le servir.

— T’as de quoi payer ? lui demanda le serveur bouffi qui suait à grosses gouttes. Parce que moi, les bergers puants comme toi, je les casse en deux s’ils n’ont pas de quoi régler l’addition !

Mérenptah eut un véritable choc. L’homme qui venait de lui adresser la parole avait un accent très prononcé qui démontrait clairement ses origines modestes. On ne parlait pas de cette façon dans la noblesse égyptienne, et encore moins à la cour de Ramsès II, où le pharaon avait été élevé. S’il voulait se fondre dans la masse et éviter d’attirer l’attention sur lui, le faux berger se devait de ne pas trop ouvrir la bouche.

Discrètement, Mérenptah sortit de sa bourse une petite pierre jaune et la tendit au serveur. Celui-ci la regarda longuement, la frotta, puis testa sa solidité en la glissant entre ses dents. N’importe quel expert aurait tout de suite vu qu’il s’agissait d’une authentique citrine et qu’elle valait au bas mot une centaine de tonneaux de bière. Seulement le gros bonhomme n’avait jamais vu ni tenu une telle pierre dans ses mains. Ce fut donc avec circonspection qu’il lança d’un air détaché :

— Je t’en donne cinq et du poulet tant que tu pourras en manger, ça te va ? fit-il en montrant derrière lui des volailles qui cuisaient à la broche sur un lit de braises. Tu as compris ? Cinq ! Pas une de plus !

Le pharaon se demanda ce que ces cinq choses pouvaient bien être, mais il demeura muet. Il se contenta d’acquiescer de la tête.

Le gros homme tourna les talons et revint aussitôt avec un récipient contenant tout près d’un litre de bière. Il le déposa nonchalamment sur la table en aspergeant son client.

— Je tiens le compte… il en reste quatre ! Tu me feras signe quand t’auras faim, je t’apporterai le poulet. À la tienne, berger !

Mérenptah sourit en guise de remerciement, puis il trempa les lèvres dans la boisson. La bière, forte et ambrée, avait un goût d’épices très prononcé qui contrastait nettement avec ce que le souverain avait l’habitude de boire au palais. Ce premier essai ne fut pas très concluant, et le pharaon dut faire de gros efforts pour ne pas s’étouffer. Loin de la finesse et de la pureté auxquelles il avait été habitué, il pensa que ce rafraîchissement avait toutes les qualités pour ravir les cochons. Pour apprécier cette bière, il fallait être complètement dépourvu de goût ou ne pas avoir connu mieux. Cependant, l’alcool faisant déjà son effet, la deuxième gorgée lui parut moins difficile à avaler, et la troisième fut un charme à engloutir. À la quatrième, il avait presque terminé son verre et levait déjà le bras pour que le serveur lui en apporte un autre. Finalement, cette bière n’était pas si mal.

Autour de Mérenptah se pressait une foule panachée de commerçants et de militaires, de notables et de prostituées, ainsi qu’un bon nombre de serviteurs et de scribes du palais qu’il avait déjà croisés.

« J’espère que personne ne me reconnaîtra, pensa-t-il en essayant de cacher son visage sous le capuchon de sa cape. Si on apprenait qui je suis, ma vie pourrait être en danger… »

— Connaissez-vous la dernière rumeur qui circule en ville ? lança un fantassin qui profitait d’une soirée de congé.

Autour de lui, les clients amusés se turent pour l’écouter.

— Ce matin, continua-t-il, on a retrouvé un scribe du palais mort derrière son écritoire ! Pourtant, tout paraissait normal, il n’avait pas bougé depuis trois jours ! Encore un peu et il se momifiait sur place !!!

Comme les employés de l’État avaient une réputation de lourdauds et de paresseux, l’assemblée y alla d’un grand éclat de rire. Les quelques scribes qui partageaient une table un peu plus loin se contentèrent d’esquisser un sourire poli. Mais l’un d’eux, piqué au vif, se leva et demanda le silence.

— Quelle différence y a-t-il entre un Nubien et un fantassin égyptien ? lança-t-il aux clients ravis par la tournure des événements. Eh bien, aucune ! Tous les deux deviennent des eunuques devant le pharaon !

La foule applaudit à tout rompre cette blague grivoise qui fit monter d’un cran la tension entre les deux hommes.

— Tu veux jouer à ce jeu, mon petit ?! grogna le soldat en colère. Très bien… Alors, comment fait-on pour briser l’index d’un scribe ? On lui donne un bon coup de poing sur le nez ! C’est bien connu, tout ce qu’ils savent faire de leurs dix doigts, c’est se les mettre dans le nez !

Mérenptah, grisé par l’alcool, sourit. La blague avait un fond de vérité indiscutable. Combien de fois avait-il reproché à ses scribes d’être lents et peu débrouillards ? La joute entre les deux hommes s’annonçait passionnante.

Les clients manifestèrent aussi leur approbation, et tous les regards se tournèrent vers le scribe offensé. Celui-ci respira un bon coup, puis lança :

— Nous ne savons rien faire de nos dix doigts, j’en conviens… mais quand les soldats sont en mission loin de Memphis, c’est avec leur onzième doigt que les scribes s’occupent de leurs femmes ! Et la tienne semble bien apprécier la plume de mon encrier…

— Tu vas voir, insolent, comment la lame de mon couteau te tranchera la langue ! s’exclama le fantassin en dégainant une dague.

— Est-ce une chèvre que j’entends ainsi brailler, ou est-ce le cri désespéré d’un cocu frustré ? ajouta le fonctionnaire pour mettre un peu d’huile sur le feu.

Le fantassin bondit sur le scribe, mais celui-ci ne se laissa pas dominer. Les deux hommes en vinrent aux coups et ils furent poussés à l’extérieur de la taverne par les spectateurs survoltés. Devant la scène, Mérenptah demeura assis et regarda les combattants et la foule s’éloigner de la place publique.

« Voilà ce à quoi ressemble mon peuple, pensa-t-il, encore sous le choc. C’est désolant de constater qu’ils se comportent comme des chiens qui n’ont rien de mieux à faire que se défier et se battre… Cependant, je ne peux leur en vouloir. Cette bière pourrait faire perdre la tête au plus calme des hommes. »

— Tu veux prendre un peu de bon temps ? suggéra soudainement la voix d’une femme, juste à côté de lui. Donne-moi un peu de bière, bel étranger, et je te ferai un petit cadeau dont tu te souviendras longtemps… Ensuite, nous parlerons de choses plus sérieuses.

La prostituée, dont la généreuse poitrine débordait de ses vêtements, glissa sa main sous la tunique de Mérenptah. Elle saisit habilement son sexe et commença à le manipuler vigoureusement. Offensé par cette méthode peu orthodoxe et trop directe, le pharaon se leva d’un trait et quitta la taverne sans demander son reste.

— C’est ça, hurla la racoleuse, va donc enculer une de tes chèvres, sale berger !

« Mais c’est impossible, grogna Mérenptah en empruntant sans faire attention une rue sombre. Voilà ce qu’est devenu mon peuple ? Une bande de chacals batailleurs accompagnés par des femmes de petite vertu ? Pas étonnant que les Nubiens, les Achéens et tous les peuples qui nous entourent veuillent leur part de l’Égypte. Eux aussi, ils veulent participer à la fête. Je n’ai jamais vu Memphis aussi décadente et sans… »

— Je vous en prie ! lança alors une voix derrière Mérenptah. N’allez pas par là, mon pharaon, c’est un quartier très dangereux… Si vous persistez, le malheur vous attend au bout de cette rue.

Les craintes de Mérenptah étaient maintenant fondées : il avait été reconnu. Lentement, il se retourna et aperçut un homme d’une quarantaine d’années, modestement vêtu, qui lui souriait. Lorsque celui-ci constata qu’il ne s’était pas trompé et que le fils de Ramsès II se trouvait bel et bien devant lui, il tomba à genoux et se prosterna.

— Votre Majesté ! fit-il, le nez dans la poussière. J’avais un doute, mais me voici rassuré. J’ai reconnu mon maître et béni les dieux qui m’ont fait suivre ses pas. Qu’Horus, protecteur de l’Égypte, soit loué…

— Debout, je t’en prie…, fit Mérenptah, un peu contrarié. Si tu continues à te prosterner ainsi, tu attireras l’attention sur moi. Ta ferveur va me trahir.

— Ainsi, c’est vous…, dit encore l’homme qui demeurait agenouillé. Je vous ai bien reconnu en passant devant la taverne… Je n’en croyais pas mes yeux ! Et pourtant, ce n’était pas un mirage… ni même une apparition !

Rapidement, Mérenptah s’avança vers lui et l’aida à se relever.

— Va-t’en et n’ouvre pas la bouche…, ordonna le pharaon. Ma présence ici est un secret et je ne veux pas être reconnu. Si tu parles, je te ferai payer chèrement le prix de ton indiscrétion.

— Un secret, vous dites ?! lui répondit poliment l’homme. Eh bien, soyez certain que celui-ci sera bien vite éventé si vous continuez à être aussi imprudent. Ce n’est pas ce simple accoutrement de berger qui vous sauvera la vie si vous tombez entre de mauvaises mains, et je dois vous avouer que Memphis en est remplie.

— Qui es-tu, toi ? lui demanda le pharaon. Ton visage me dit quelque chose ! Ce n’est pas la première fois que je te rencontre, non ?

— En effet, maître ! Je m’appelle Izzi et je suis sculpteur de pierre. C’est moi qui ai réalisé les ornements qui décorent votre grande chambre du palais… Je vous ai vu quelques fois venir admirer mon travail, voilà pourquoi je vous ai rapidement reconnu… Cela explique sans doute pourquoi mon visage vous est familier.

— Izzi ?! répondit Mérenptah. Oui… ce brave Izzi ! Je me rappelle de toi maintenant. Tu es un grand artiste et un ouvrier dévoué… Tu travailles la pierre d’une si belle façon ! Peut-être ne te l’ai-je jamais dit, mais tu es un grand artiste.

— Grand Pharaon, dit nerveusement le sculpteur, je ne sais pas pourquoi vous êtes ici et cela ne me concerne en rien, mais, de grâce, permettez-moi de vous inviter dans ma modeste demeure. Nous continuerons cette discussion chez moi. Vous savez, il ne fait pas bon de circuler en ville la nuit, car…

Izzi hésita. Il venait peut-être de se mettre les pieds dans les plats.

— Continue…, fit le pharaon, très intéressé. Ne t’arrête pas !

— Car… car depuis que Ramsès II, votre père, est entré dans la Vallée des Rois, la sécurité s’est grandement relâchée et des voyous ont fait leur apparition. Comprenez bien qu’il ne s’agit pas d’une critique que je vous adresse, seulement d’un constat. Loin de moi l’idée de vous dire comment diriger l’Égypte, et encore moins la ville de Memphis.

— Ne t’inquiète pas, j’apprécie ta franchise. D’ailleurs, je suis ici pour cela.

— J’habite tout près d’ici. Venez avec moi, je vous en prie. Je tairai même votre identité à ma femme afin de préserver votre secret… mais je vous en conjure, il ne faut pas déambuler seul dans la nuit.

— Je suis capable de m’occuper de moi, merci, Izzi. J’ai des choses à faire et c’est une quête qui n’incombe qu’à moi. Rentre chez toi et dors sur tes deux oreilles, personne ne me fera de mal.

— La bière vous égare, mon souverain, dit Izzi. Vous jugez mal de la situation… Par Horus, accompagnez-moi.

— Tu crois que je manque de jugement ?! lança le pharaon qui vacillait un peu sur ses jambes. Moi, le pharaon, je manque de jugement ?! Eh bien, tu as du culot, Izzi !

— À la taverne, trois voleurs vous ont vu sortir une bourse de vos vêtements et ils ont l’intention de vous la ravir… Vous avez payé votre repas avec une citrine, et même si le serveur n’y connaissait rien en pierres précieuses, cela ne veut pas dire que les clients autour étaient aussi ignorants que lui. De plus, à table, vous avez par deux fois caché votre visage de façon maladroite. Seuls les nobles et les riches ne veulent pas être reconnus lorsqu’ils fréquentent des endroits un peu louches. Et puis, grand Mérenptah, pourquoi pensez-vous que la prostituée qui vous a agressé désirait tant avoir un simple berger entre ses cuisses ?

— Pour mettre la main sur ma bourse ! fit le pharaon, qui réalisait maintenant toute l’ampleur de ses maladresses. Elle voulait me détrousser, c’est évident ! J’aurais dû m’en douter…

— Vous ne pouviez pas vous en douter, grand Mérenptah, car vous n’êtes pas de ce milieu. Vous n’en connaissez pas les codes, et vous ignorez quels sont les comportements à adopter.

Le pharaon soupira.

— Je vous en prie, continua Izzi, vous n’êtes pas fait pour vivre longtemps dans cette ville… Il vous faut de l’aide. Je ne vous demanderai rien en retour… je ne parlerai à personne de votre visite… mais ayez la sagesse d’écouter un simple tailleur de pierre qui vous respecte au plus haut point. Il en va de votre vie. Vous avez été charmant avec moi lors de mon travail au palais, je veux simplement vous rendre la pareille…

Mérenptah prit quelques secondes de réflexion. Après tout, Izzi avait peut-être raison. Il valait sans doute mieux l’accompagner. Malgré tout, un doute subsistait dans son esprit.

— Tu es peut-être l’un de ces voleurs qui désirent me tendre un piège ? fit-il d’un ton méfiant. Tu as vu trop de choses pour être simplement intéressé par ma sécurité. Comment puis-je te faire conf…

Le pharaon s’interrompit et vit trois hommes armés de longs couteaux s’arrêter au bout de la rue. Tout de suite, il comprit que le sculpteur de pierre avait dit vrai et qu’il pouvait avoir confiance en lui.

— Ça va, tu m’as convaincu, murmura-t-il en s’approchant de l’oreille de son sauveur. Tu avais raison, Izzi, j’ai bien été suivi, et ces brigands que tu vois là-bas, je pressens qu’ils ne sont pas là pour me souhaiter la bienvenue ou me faire des courbettes.

— Suivez-moi, Pharaon, nous allons les semer dans les ruelles du souk… Vous venez de prendre la bonne décision. Ne me perdez pas de vue !

Izzi et Mérenptah déguerpirent vers une petite rue noire. Derrière eux, les voleurs s’élancèrent à leur poursuite. Les deux hommes empruntèrent une ruelle, puis une seconde. Ils franchirent les ruines d’une maison abandonnée, puis continuèrent leur trajet dans un véritable labyrinthe d’étroits couloirs entre les habitations.

— Tu sais où nous sommes, Izzi ? demanda Mérenptah, un peu inquiet. Cette partie de la ville est un incroyable dédale… Je ne la savais pas aussi compliquée !

— Oui, je sais précisément où nous nous trouvons. Nous arriverons bientôt chez moi, répondit le sculpteur avec un brin de fierté dans la voix. Je suis né et j’ai grandi dans ce souk, Pharaon ! Je connais chaque coin de ce quartier de la ville et presque tous les gens qui y habitent. Pour me perdre ici, il faudrait que je reçoive un bon coup sur la tête et que j’en oublie jusqu’à mon nom.

— Cela veut dire qu’Horus était avec moi et que j’ai eu bien de la chance de te rencontrer…

— Non, c’est plutôt à moi que revient l’honneur d’avoir été choisi par Horus pour être votre guide ! Et soyez certain que je ne le décevrai pas ! Je crois bien que nous avons semé nos poursuivants.

Loin derrière eux, ils perçurent les voix des trois hommes qui, bien perdus dans le souk, essayaient de retrouver leur chemin.

— Écoutez-les ! se moqua Izzi. Ils en ont pour la nuit à tenter de s’orienter. Et encore, ils devront demander leur chemin aux gens du quartier qui, soit dit en passant, ne sont pas très sympathiques, mais très méfiants. C’est pourtant simple ; à partir d’ici, il faut tourner à droite à chaque intersection ! Voilà, cette porte… c’est celle de ma maison !

— Toujours à droite, tu dis ?

— Curieusement, c’est la seule façon de ne pas tourner en rond dans ce souk ! Allez, entrons !

Les deux hommes poussèrent la vieille porte de bois et aboutirent dans une toute petite pièce mal éclairée. Quelques lampes à huile et un petit feu de bois au-dessus duquel bouillait de l’eau faisaient danser un peu de lumière sur les murs.

— Il était temps que tu rentres, Izzi, dit une femme, venant à leur rencontre. Je commençais à être sérieusement inquiète ! Mais… mais tu nous amènes un visiteur ?

— Bonsoir, chérie. Désolé pour le retard, je vais t’expliquer, je te promets… mais avant, tu veux bien nous faire du thé et préparer un lit pour mon nouvel ami ? Il dormira avec nous ce soir et je veux qu’il se sente comme chez lui ! Enfin, qu’il se sente à l’aise, je veux dire…

La femme d’Izzi, un peu surprise de recevoir un étranger, demanda discrètement à son mari de la suivre dans une autre pièce.

Avant de la rejoindre, le sculpteur offrit au pharaon de s’asseoir. Mérenptah, content d’avoir terminé sa course dans le souk, accepta volontiers l’invitation et prit place sur le sol entre deux larges coussins.

— Tu aurais pu m’avertir que…

— Chérie, je t’en prie…, chuchota Izzi en faisant signe à sa femme de se taire. Prépare-nous aussi quelques-uns de tes gâteaux aux figues. L’homme qui dormira ici ce soir est très important, et je veux que son passage dans notre demeure soit agréable. Tu comprends ? C’est très important pour moi… pour nous.

— Bon, très bien…, maugréa l’épouse, mais j’espère qu’il sait se tenir et qu’il est bien éduqué. Je me méfie de tes amis, tu sais ! Ils sont souvent grossiers et peu reconnaissants de ce que nous faisons pour eux.

— Ne t’inquiète pas, ma douce Bithiah… Cet homme est aussi parfait que le pharaon en personne.

Les enfants de Börte Tchinö
titlepage.xhtml
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Perro,Bryan-[Wariwulf-2]Les enfants de Borte Tchino(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html